Mise en scène
Alexis FORESTIER
Lumières
Vincent PAOLI
Avec
Bruno FORGET
Pierre GERBAUX
Laurent JACQUET
Cécile SAINT-PAUL
Co-réalisation
Le Fou dans la Chaloupe/Cie Les Endimanchés
103, rue Didot - 75014 Paris
Chaînes est le second projet mené par la compagnie les endimanchés. Il marque le début d’un travail de recherche tourné vers des œuvres poétiques du vingtième siècle - étrangères pour la plupart d’entres elles à l’écriture théâtrale - notamment celles de Henri Michaux (Chaînes /1994, Le drame de constructeurs / 1997 ), René Char (Claire /1995, Affres, détonation, silence / 1996, Les transparents et La fête des arbres et du chasseur / 1997), Francis Ponge (La fabrique du pré / 1998).
C’est aussi le premier travail de fond et de connivence entre Alexis Forestier et Cécile Saint-Paul ; complicité et mise en partage des outils de la création théâtrale, qui, au sein de la compagnie se poursuivra jusqu’en 2015 avec Le Dieu Bonheur de Heiner Müller.
Henri Michaux, le plus souvent réfractaire à l’idée que ses pièces soient représentées au théâtre et par les moyens du théâtre, voulait avec Chaînes « faire quelque chose de vraiment désarmant », ce qui à posteriori semble correspondre aux intentions cachées qui pouvaient être les nôtres.
Cette première tentative menée à partir du texte de Michaux engage le travail de la compagnie vers un langage théâtral simplifié à l’extrême et proche d’un certain minimalisme schématique qui vient rompre avec le foisonnement de formes scéniques envisagé dans Cabaret Voltaire. Le traitement musical ou sonore de la pièce est lui aussi minimaliste ; des bandes magnétiques sont enregistrées sur Revox ; elles sont composées de coups frappés sur du bois, de râles profonds et parfois déchirants, de même que de motifs joués à l’harmonium par Florian Aubineau alias Anselme Binouche, musicien improvisateur et ami de l’époque.
Cette pièce est la première d’une longue collaboration avec le comédien Bruno Forget qui se poursuivra jusqu’en 2007.
Le dispositif scénique est composé de deux grands panneaux blancs qui vont permettre une représentation des mouvements, agissement et pratiques supposés avoir lieu dans les maisons respectives des deux protagonistes de la pièce. Ces jeux d’ombres veulent aussi tenter un rapprochement avec certaines encres de Henri Michaux, notamment celles de mouvements qui constitue la première partie de Face aux verrous.
Le jeu des acteurs est volontairement simplifié lui aussi et se maintient à distance de tout pathos ou de tout penchant possible vers une psychologisation des personnages, ceux-ci font place à des figures façonnées par quelques traits ou signes caractéristiques.
Toute la violence sourde contenue dans le texte de Michaux est traduite par la construction sonore et les manipulations de mannequins* formant à l’arrière plan un théâtre d‘ombre qui constitue à la fois le dispositif scénographique et le support de jeu de la pièce.
La pièce Chaînes est créée en 1994 au Théâtre municipal de Nevers dans le cadre du festival De Nevers à l’aube. Elle est jouée à l’Espace des Arts de Chalon Sur Saône en janvier 1995,
intégrée alors au diptyque que formait la réunion de Chaînes de Henri Michaux et Claire de René Char. Ces pièces sont aussi l’occasion de poursuivre une collaboration avec Antoine Lengo et Manuel Coursin qui à cette époque travaillent en binôme sous le nom de Kolatch.
Une dernière série de représentations a lieu en extérieur à Nanterre en juillet 1995, première étape d’une longue complicité qui se poursuit encore aujourd’hui avec la Ferme du Bonheur.
* Il est à noter que les mannequins présents dans Chaînes ont d’abord joué dans Les géants de la Montagne de Luigi Pirandello, dans une mise en scène de Bernard Sobel ; ils sont dès lors devenus les marionnettes fétiches de la compagnie présentes dans de nombreux spectacles depuis l’importance d’être d’accord de B.Brecht (1998) jusqu’à Modules dada (2017)
Toute situation est dépendance et centaines de dépendances. Il serait inouï qu'il en résultât une satisfaction sans ombre ou qu'un homme pût, si actif fût-il, les combattre toutes efficacement dans la réalité.
Une des choses à faire : l'exorcisme.
L'exorcisme, réaction en force, en attaque de bélier, est le véritable poème du prisonnier.
(Henri Michaux, préface de Epreuves, exorcismes)
La pièce Chaînes, en invoquant la violence qu'appelle un système relationnel aliéné a valeur d'exorcisme - au sens de Henri Michaux - et rejoint une fonction essentielle du théâtre : le pouvoir de transformer les données immédiates de la réalité, de permettre à nos refoulements et désirs inconscients de trouver une zone d’émergence.
Aux questions de l'aliénation, de la brutalité du quotidien, de la lutte contre une souveraineté des usages sociaux, elle offre une réponse en forme d'ouverture.
La révolte tardive et précipitée du jeune homme, sa vision soudaine d'un autre monde possible sont les soubassements de ce théâtre où la prise de conscience constitue l'élément central et politique.
La scène représente à gauche la maison de la jeune fille (...)
À droite, vis-à-vis, la maison du jeune homme (…)
Le jeune homme se trouve attaché dans la pièce du rez-de-chaussée de sa maison.
Le jeune homme doit son enfermement à l'emprise exercée par son milieu, à la domination physique et morale de son environnement familial.
Il tombe en arrêt devant la jeune fille, qui, contrairement à lui, semble ne plus avoir d'attaches. Elle lui révèle qu'il est dans l'usage de battre ses parents et qu'il lui est possible d'accéder à une forme d’indépendance par l'emploi de la force, par une violence infligée en retour aux membres de sa famille.
La conscience du jeune homme comme appareil de contrôle le retenant à ses chaînes, sclérosant son désir amoureux, est ainsi mise à l’épreuve. La mise au jour de ce conflit intérieur, la puissance visionnaire de la jeune fille lui permettent enfin de s'émanciper et d'échapper à son cadenassage.
La soumission à l'environnement familial, à ses influences et contraintes apparaît dans l'œuvre de Henri Michaux comme la première étape évidente et inéluctable de notre « appartenance au monde ».
Cette faculté d’adaptation à l'entourage proche se faisant naturellement, notre aliénation a tout lieu de suivre son cours une fois cette étape franchie ; tout est mis en place pour empêcher l'individu d'accéder à la liberté. Le jeune homme, peu à peu, parvient à rompre cet enchaînement.
Ce passage, cet éveil d'une nouvelle conscience sont liés dans la pièce à la notion d'espace ; la zone finie, circonscrite dans laquelle se tient le jeune homme voit peu à peu ses limites s'effacer.
Une certaine tension est maintenue par un principe de « séparation des éléments » ; l'espace scénique est partagé entre l'élément dramaturgique à proprement parler et des composantes autonomes auxquelles nous donnons un statut de commentaire parallèle.
La pièce met en scène deux types de conflits : un conflit passionnel entre les jeunes gens et leurs conflits familiaux respectifs.
Ce qui fonde le jeu, la relation entre les jeunes gens est lié à la présence de leurs familles reléguées à l'arrière-plan de l'action et physiquement occultées. Les didascalies de l’auteur renforcent cette proximité oppressante en indiquant les bruits de coups, les cris, les râles d'agonie et autres manifestations brutales pratiquées dans les maisons proches.
Le projet consiste en l'élaboration d'un système combinatoire entre le jeu des acteurs, des éléments sonores et un dispositif qui représenterait, ponctuellement, par des ombres projetées, les vies retenues à l'intérieur des maisons de chacun des protagonistes. La confrontation de ces différents éléments, restitue les états de tension contenus dans le texte.
Le plateau de Chaînes est délimité en trois zones :
Au premier plan se trouve la zone de passage, l’aire de jeu dans laquelle évoluent les deux protagonistes de la pièce ; le rez-de-chaussée de la maison où est attaché le jeune homme, mais qui déjà déborde sur la rue et permet le moment de la rencontre avec Damidia.
A l’arrière de cette zone, de part et d'autre de la scène, sont disposés deux châssis tendus de toile blanche, légèrement orientés vers le centre et de manière asymétrique. Ils figurent les espaces intérieurs des maisons auxquelles sont rattachés les deux personnages.
En retrait des panneaux, vers le lointain, est tendu un fil de cour à jardin. Les comédiens ne franchiront cette ligne qu'au terme de la pièce.
Derrière chaque panneau sont installés, sur une estrade, des acteurs-manipulateurs et des formes humaines : de grandes marionnettes en tissu.
Éclairées depuis le lointain, les formes et combinatoires qui résultent des manipulations apparaissent en ombre sur les panneaux et révèlent une image mentale, représentation schématique de la brutalité des relations « en usage dans la famille ».
Ces apparitions en ombre sont ponctuelles et de courte durée. Les acteurs exécutent des gestes répétitifs et ritualisés ; ils gravitent lentement autour des silhouettes ou leur font subir de mauvais traitements dans de soudains et brefs accès de brutalité. D'une séquence à l’autre, les personnages apparaissent dans des postures sensiblement différentes.
Les pratiques et l’usage de la violence sont apparemment similaires dans les deux familles ; seule la perception des deux protagonistes diffère ; le jeune homme est maintenu dans l’ignorance tandis que la jeune fille lui ouvre les yeux sur sa condition. D’une maison l’autre, les mêmes pratiques sont en vigueur ; les mêmes séries de gestes, de manipulations seront alors interprétées derrière les deux panneaux en un jeu de variations et d’infimes décalages.
Les séquences d'ombres, à la manière de courtes apparitions participent de la temporalité de la pièce ; elles créent d’obscurs intervalles entre les scènes qui se superposent à la présence muette, interdite du jeune homme.
La création sonore est à la jonction de ces deux registres de présence ; elle est composée essentiellement de bruits humains, de râles, de coups frappés que l'on imagine venir des maisons des jeunes gens. Elle contribue ainsi à construire et rendre présent cet arrière-plan fantasmatique, commun aux deux maisons.